Quatre-vingt-quatorze
Mercredi, TOPQ ronronne dans sa journée des gamins. Vous savez, les quatre-cinquième, où les mamans s’occupent des enfants, où les routes sont moins chargées, où le RER A ne fait pas grève, où je suis seul dans mon bureau en train de faire croire que je travaille car le cliquetis des touches emplit la pièce et simule une activité cérébrale intense.
Je suis en train de m’en amouracher, de mon petit Ch. Il y a quelque chose de touchant en lui, son côté jeune et hétéro probablement, ces expressions des fois surannées, ou simplement sa joie de vivre du genre force tranquille de la sérénité heureuse. Je me fais encore une fois, je le crains, très mal.
GayPride 2 : en bref, marche avec F. et C., comme des fous furieux, de Denfert au pont de Sully au pas de marche. Pour la première fois je me suis mis torse nu, Hiroshi a pu se faire remarquer – il y a eu des commentaires agréables – et ensuite, je suis resté une heure sur le pont de Sully en train de bronzer et de voir le monde passer. Cinq cent mille personnes, moitié manifestants, moitié badauds, en général très jeunes. J’ai vu également des gens plus âgés, même des très vieux messieurs, rarement dignes, plutôt dépassés. Le char de l’ASMF était petit, les cuirettes vieillissent très mal. Le latex ne le fait plus. Les drag-queens et autres folles à frou-frou sont comme d’habitude, flamboyantes et éclatantes comme des feux d’artifice. Dix secondes d’éblouissement après des journées de préparation. Plein de couples. Rageant, rassurant, touchant, anxiolytique pour moi qui me prends les pieds dans mes angoisses de vieillissement.
J’ai reçu un commentaire – ce qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Oui, j’angoisse devant mes cinquante ans. Non parce que le fait de vieillir en soi m’effraie, mais parce que je n’ai pas de modèle pour le faire. Il n’y a pas de pédé quinquas heureux que l’on voit partout, qui offrent un modèle de couple réussi, qui ont une sexualité approuvée socialement, qui sont visibles et proposent un référent. J’ai le mode d’emploi pour être gamin, adolescent, adulte. J’ai également les paradigmes pour être heureux en tant qu’hétéro, avec famille, gosses, à l’appui. Or je ne sais pas comment être heureux, épanoui, en étant pédé de plus de cinquante ans. Pascal Sevran et Carl Lagerfeld ne sont pas vraiment des modèles, ni Yves Saint-Laurent ou Maurice Béjart non plus. J’ai plutôt tendance à me voir comme Françoise Sagan, pour le côté paumé, bien sûr, je ne sais même pas si les histoires de gouinerie que l’on raconte à son sujet, sont vraies. Bref, j’ai difficilement acquis un semblant de mode de fonctionnement en tant que pédé trentenaire, sauf que je ne le suis plus, et que le fonctionnement du pédé célibataire couchant régulièrement avec de multiples partenaires tout en cherchant à se caser avec un seul et unique, beau, doux, affectueux, dans une vie de double income no kids, bah, ça ne marche pas, ne marche plus pour moi. Je suis plutôt seul et masturbatoire que conjugal et comblé. Il est dur de voir les autres, jeunes – dans la trentaine je m’entends – et d’avoir la même attitude dans ma tête sauf que l’apparence ne suit plus. J’accuse bien mon âge maintenant. Le ridicule tue.
Comme ce samedi de Gay Pride, en boîte, après deux verres au Cox et un dernier au Bear’s Den avec N. et C. J’ai un peu dansé, un peu chill-outé, et peu explorer la backroom attenante, où des mains baladeuses, probablement aussi saoules que moi me faisaient des mamours. Pendant cinq secondes j’ai cru que la tendresse était réelle. Illusion qui prouve que je suis vraiment vieux, pour prendre un tel truc au sérieux. Oui, sérieux, ça, je le suis. Bus de nuit, longue matinée de sommeil. Dimanche, deux heures de glande en attendant l’arrivée de l’ours, agrémentées tout de même en défilé de dindes du Marais, quelques bavardages post-pride, et en route vers le Barjot où les gayens fêtaient également ce week-end d’exception. Je ne suis resté que trente minutes, par politesse, me sentant de plus en plus seul parmi tous ces mecs qui se connaissent virtuellement, s’adressent les uns les autres par leurs pseudos. Je n’ai plus rien à raconter à ces jeunes. Le « generational gap » est trop grand à franchir. Le pompon de la soirée était la remarque « tu t’en vas déjà – mais pourquoi, nous t’aimons tous » lancée à la cantonade par un gayen que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, en grande conversation avec l’ours quand je voulais lui dire au revoir. Le coup asséné était rude. Il m’a fallu dix secondes avant de me recomposer un visage amène et sociable. Justement, ils ne m’aiment pas, ils m’ignorent. Je suis rentré, triste, las, désabusé. J’envie ceux qui savent se reconstruire en permanence, moi je n’y arrive plus. La visibilité de la Gay Pride c’est bien, dommage qu’il n’y ait pas de Vieillards Pride. Je ne crois pas à cette fierté-là.